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MESURE POUR MESURE.

que j’ai laissé tomber depuis quatorze ans, — me résignant, comme un lion suranné dans sa caverne, — à ne plus aller en chasse. Qu’un père faible, — ayant lié en faisceau les menaçantes baguettes de bouleau, — se contente de les ficher sous les yeux de ses enfants, — comme un épouvantail hors d’usage, la verge sera vite — un objet de risée plutôt que d’effroi. De même, si nos lois — sont mortes à l’application, elles sont mortes à elles-mêmes : — la licence tire la justice par le nez ; — le bambin bat sa nourrice ; et c’en est fait — de tout décorum.

frère thomas.

Il dépendait de Votre Grâce — de démuseler cette justice enchaînée, dès qu’elle le voulait : — chez vous elle eût paru plus redoutable que chez le seigneur Angelo.

le duc.

Trop redoutable, je l’ai craint. — Puisque ç’a été ma faute de donner au peuple ses coudées franches, — il y eût eu tyrannie de ma part à le frapper et à le châtier — pour ce que je l’avais autorisé à faire : car nous autorisons — le mal quand nous lui laissons un libre cours, — au lieu de le punir. Voilà vraiment, mon père, pourquoi — j’ai imposé cette fonction à Angelo ; — embusqué sous mon nom, il pourra frapper au but, — sans que ma personne, restée invisible, — soit exposée à la censure. Pour voir de près son administration, — je veux, étant censé un moine de votre ordre, — visiter et le maître et le peuple. Je vous en prie donc, — fournissez-moi l’habit, et enseignez-moi — comment je dois me comporter pour avoir l’air — d’un véritable religieux. Les autres motifs de ma résolution, — je vous les expliquerai plus tard à loisir. — Écoutez seulement celui-ci : le seigneur Angelo est scrupuleux, — il se tient en garde contre l’envie, il avoue à peine — que son sang coule, ou que son appétit — est plus porté