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LA SOCIÉTÉ.

enfin rencontrées sur la plage fameuse que longe la route d’Amphipolis en Thrace, entre l’Hellespont et le mont Pangée. Brutus, qui commande l’aile droite de l’armée républicaine, fait face à Octave. Cassius, qui commande l’aile gauche, tient tête à Antoine. Cependant un signe néfaste avertit les patriotes. Cassius montre à Messala un nuage noir qui s’amasse dans le ciel : c’est un essaim de corbeaux, « dais fatal sous lequel s’étend l’armée républicaine, prête à rendre l’âme ». N’importe, Brutus l’a voulu : en dépit des pressentiments de Cassius, le combat sera livré. — Chacun connaît les détails de cette mémorable mêlée qui s’appelle la bataille de Philippes. Jamais la destinée, amoureuse du despotisme, ne s’est montrée plus partiale que dans cette lutte décisive ; jamais elle n’a accumulé contre ses adversaires de tels accidents ; jamais elle ne les a égarés dans une plus funeste erreur. — La journée s’annonce bien. La jeunesse romaine, qui fait légion autour de Brutus, attaque les prétoriens avec un irrésistible élan ; elle balaye devant elle ces vétérans qui, sous les ordres du grand Jules, ont conquis les Gaules, l’Espagne, l’Égypte et la Libye, et ne s’arrête qu’après avoir pris d’assaut le camp d’Octave. Mais ! hélas ! ce succès est le piége atroce où s’est embusqué le désastre.

Dans l’impétuosité de l’attaque, l’aile droite s’est séparée de l’aile gauche. Funeste lacune. Le génie de César montre à Antoine l’espace vide : Antoine y jette des forces supérieures, enveloppe Cassius et l’accable. Cassius cerné croit Brutus vaincu et la bataille perdue sur toute la ligne ; il dépêche un de ses lieutenants pour s’assurer de la vérité ; le lieutenant tarde à revenir ; un faux rapport le signale comme prisonnier. Nouvelle erreur, qui confirme la première. Égaré par cette double méprise, Cassius renonce à tout espoir et se jette sur son épée. Brutus, averti par Titinius, revient au secours de son frère d’armes ; mais, si