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LES COMÉDIES DE L’AMOUR

Mais, à en croire le poëte, ces deux forces sont bien loin d’être égales. Dans une lutte contre la passion, la volonté est sûre d’être vaincue, grâce à l’inévitable défection de son meilleur allié, le désir. La volonté a d’avance perdu la bataille. Elle ne peut pas dompter la passion. Que peut-elle donc ? Elle peut la provoquer.

Oui, il faut reconnaître la loi qui nous est faite, quelque dure qu’elle soit. Dura lex, sed lex. C’est uniquement un pouvoir de provocation que Shakespeare accorde à la volonté dans ses rapports avec la passion. Iago est bien libre d’exciter la jalousie chez Othello ; mais Othello n’est pas libre de la dominer. Lady Macbeth est bien libre de déchaîner l’ambition chez Macbeth ; mais Macbeth n’est pas libre de s’en défendre. Périlleuse situation faite à la volonté ! Incapable de dominer son adversaire, elle n’est capable que de la défier. La résistance ne peut être de sa part qu’une stérile velléité. Impuissante à repousser la passion, elle ne peut que se livrer à elle et périr. Elle n’a d’initiative que pour le suicide !

Telle est la morale de l’œuvre shakespearienne. Cette conclusion philosophique va ressortir avec un lumineux éclat de l’examen approfondi des cinq grandes pièces que le poëte a consacrées à la plus haute des émotions humaines, à l’amour : La Sauvage apprivoisée, Tout est bien qui finit bien, Peines d’amour perdues ; Antoine et Cléopâtre, Roméo et Juliette, — trois comédies, deux drames.

Dans la Sauvage apprivoisée, comme dans Tout est bien qui finit bien, la volonté humaine, représentée ici par l’obstination de Petruchio et là par la patience d’Hélène, réussit à évoquer l’amour dans les deux cœurs rebelles de Catharina et de Bertrand.

Peines d’amour perdues, Antoine et Cléopâtre symbolisent la lutte désespérée de la volonté contre l’amour. Le