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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

sance humaine en bravant l’omnipotence suprême, prouver le néant des petits codes du despotisme en face des règles immuables de la création, opposer victorieusement le droit primordial aux statuts de l’arbitraire, abolir, au milieu des éclats de rire, les prohibitions bizarres qui entravent la satisfaction des besoins et des instincts élémentaires, dénoncer comme grotesques toutes les habitudes que le préjugé social veut imposer à l’homme en dépit de la raison, proclamer enfin à la face de toutes les tyrannies, — tyrannie du pouvoir, tyrannie de la mode, tyrannie du faux goût, tyrannie de la vanité, tyrannie du succès, — la souveraineté imprescriptible de la nature, telle fut la pensée du poëte en composant Peines d’amour perdues.

On le voit, le projet de l’auteur était plus qu’audacieux. C’était une véritable satire que Shakespeare allait lancer contre la Cour, contre ses mœurs, contre ses affections les plus chères. Toutes les manies royales allaient être publiquement critiquées, raillées et bafouées. L’afféterie précieuse, si hautement recommandée sous le nom d’Euphuïsme, devait avoir son représentant dans cet incroyable don Adriano d’Armado, « l’homme des mots nouvellement frappés, le véritable chevalier de la mode. »

— Est-ce que cet homme-là sert Dieu ? demande la princesse de France à Biron.

— Pourquoi cette question ?

— C’est qu’il ne parle pas comme un homme de la façon de Dieu.

Par contre, la pédanterie polyglotte, si fort en vogue, devait trouver son héros dans l’assommant Holopherne : « Le daim était, comme vous savez, in sanguis, en sang, mûr comme une reinette pendue à l’oreille du cœlo, du ciel, du firmament, de l’empyrée, et le voilà qui tombe comme une pomme sauvage sur la face de la terra, du