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APPENDICE.

Mais étant soigneusement gardée par ses parents, parce qu’elle était demeurée seule et riche, elle n’y voyait point d’honnête moyen, dont déjà prête à marier, n’ayant jamais pu oublier le jeune comte, elle avait refusé plusieurs à qui ses parents l’avaient voulu marier, sans leur témoigner aucunement l’occasion de son refus.

Or, advint qu’elle, brûlant de l’amour de Bertrand plus que jamais, pour ce qu’elle oyait dire qu’il était devenu beau jeune gentilhomme, elle entendit des nouvelles comme il était demeuré une fistule au roi de France, par une enflure d’estomac qu’il avait eue dont il avait été mal pansé, qui lui causait une merveilleuse douleur et angoisse ; et n’avait-on pu encore trouver médecin, combien que plusieurs s’en fussent mêlés, qui l’en eût pu guérir, mais tous l’avaient empiré. Pourquoi le Roi comme désespéré ne voulait plus ni conseil ni aide de personne. La jeune fille fut sans comparaison fort aise et pensa d’avoir par ceci non-seulement occasion légitime d’aller à Paris, mais, si la maladie était telle qu’elle croyait, de pouvoir facilement venir à bout d’avoir le comte Bertrand pour mari. Et comme celle qui avait appris auparavant plusieurs choses de son père, ayant fait une poudre de certaines herbes propres pour la maladie qu’elle pensait que ce fut, elle monta à cheval et alla à Paris.

La première chose qu’elle fit, ce fut qu’elle s’efforça de voir le comte Bertrand. Après, étant venue devant le Roi, elle lui requit de grâce qu’il lui montrât sa maladie. Le Roi la voyant belle jeune fille et avenante, ne l’en sut éconduire et lui montra. Incontinent qu’elle l’eut vue, aussitôt elle se persuada de le pouvoir guérir et lui dit :

— Sire, quand il vous plaira, j’ai l’espérance en Dieu que, sans vous faire ennui ni fâcherie, je vous aurai rendu sain dedans huit jours de cette maladie.

Le roi se moqua en soi-même des paroles de cette fille, disant : Comment est-il possible que ce que les plus grands médecins du monde n’ont pu ni su faire,