On comprend à quel point cette légende, d’origine orientale, devait frapper l’imagination d’un jeune poëte. Bientôt le voilà qui prend la plume, — inspiré à son insu par la muse arabe. — Il s’essaye à dramatiser ce récit et à en animer les personnages. L’essai est encore un peu gauche : on y sent l’inexpérience et la gêne de l’écrivain novice. Mais c’est égal. Malgré des imperfections nombreuses que Shakespeare corrigera plus tard, le prologue de la Sauvage apprivoisée primitive appartient déjà à la vraie comédie. Jugez-en vous-même :
— Fils de putain, misérable ivrogne, tu feras mieux de t’en aller — et de vider ailleurs ta bedaine gonflée — car tu ne reposeras pas ici cette nuit.
— Jarnidieu ! l’aubergiste, je vais vous étriller tout à l’heure… — Remplissez un autre pot ; tout est payé, vous dis-je. — Je le boirai de ma propre instigation… — Je vais dormir un peu ici… Eh bien, l’aubergiste ! Encore une fois, — remplissez une autre chopine. — Hé ! Ho ! voici un coucher assez douillet.
— Maintenant que l’ombre lugubre de la nuit, — désireuse de comtempler Orion à travers la bruine, — s’élance du monde antarctique dans le ciel — et en ternit l’azur de sa ténébreuse haleine, — maintenant que la nuit noirâtre obscurcit le cristal des cieux, — suspendons ici notre chasse. — Rentrons vite chez nous.
Accouplez les limiers — et dites au chasseur de les bien nourrir, — car ils l’ont tous bien mérité aujourd’hui.
— Mais doucement, quel est le gaillard qui dort couché là ? — Est-il mort ? qu’on s’assure de son état !
— Monseigneur, ce n’est qu’un ivrogne qui dort. — Sa tête est trop lourde pour son corps, — et il a tant bu qu’il ne peut aller plus loin.
— Fi ! comme le chenapan pue la boisson ! — Holà, drôle, debout !