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INTRODUCTION.

passion ne connaît pas les digues ; mystérieuse et fatale, elle suit son cours, en dépit de tous les obstacles, — engagement, promesse, foi jurée, — et elle envahit l’âme, jetant à la face des téméraires les épaves de leurs serments brisés.

Voyez donc. Quelle est cette femme en deuil devant qui tous s’inclinent ? Comme ses vêtements noirs rehaussent sa pâle et fière beauté ! C’est la fille unique de sir Francis Walsingham, c’est la veuve de sir Philipp Sidney, ce chevalier-poëte qui refusa d’être roi de Pologne, aimant mieux servir la muse que gouverner un peuple. — Dès qu’il a vu entrer lady Sydney dans le salon royal, le magnifique comte d’Essex a ressenti un trouble étrange. Le regard de la jeune femme et celui du jeune homme se sont rencontrés ; et dès ce moment Essex ne voit plus la reine qui trône au-dessus de lui. Il ne distingue plus la majesté de la couronne, tout ébloui qu’il est par cette majesté de la grâce. Désormais le favori de la souveraine n’a plus qu’une ambition : se parjurer en épousant la sujette. Ô déchéance ! l’amant platonique de la reine Élisabeth a pour idéal d’être le prosaïque mari de lady Sydney. Il demande en secret le consentement de la belle veuve, il l’obtient, mais comment conclure cette union tant souhaitée ? Le péril était grand. Essex se trouvait juste dans la situation où était le feu comte de Leicester au moment d’épouser lady Essex ; il se rappelait la longue disgrâce de son beau-père et songeait en frémissant à la rancune de la reine qui encore maintenant proscrivait de la cour lady Leicester. Le jeune amoureux s’exposerait-il à cette disgrâce ? affronterait-il cette rancune ? Les fiancés crurent conjurer le danger en s’épousant clandestinement. Mais bientôt une malveillante indiscrétion les trahit. La reine apprit la grande nouvelle : lady Sydney s’appelait lady Essex ! Élisabeth manda sur-le-champ le