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PEINES D'AMOUR PERDUES.

LONGUEVILLE.

— J’attendrai avec patience ; mais le temps est long.

MARIA.

— Il ne vous sied que mieux. Si jeune, il est rare d’être aussi grand que vous.

BIRON, à Rosaline.

— Que médite ma dame ? Maîtresse, regarde-moi ; vois à mes yeux, ces fenêtres de mon cœur, — vois l’humble supplique qui attend ta réponse. — Impose-moi quelque service pour te prouver mon amour.

ROSALINE.

— J’avais souvent entendu parler de vous, messire Biron, — avant de vous connaître. La large langue du monde — vous proclame une railleur achevé, — toujours plein de comparaisons et d’ironies moqueuses — que vous lancez sur tout ce qui — est placé à la portée de votre esprit. — Pour arracher cette amère ivraie de votre féconde cervelle, — et aussi, si vous le désirez, pour gagner mon cœur — que vous ne pouvez gagner qu’à ce prix, — vous passerez une année, au jour le jour, — à visiter les malades silencieux et à causer — avec les pauvres agonisants ; et, ce sera là votre tâche, — vous vous évertuerez de toutes les forces vives de votre esprit — à faire sourire les souffrants incurables.

BIRON.

— Faire rire la mort à gorge déployée ! — Cela ne se peut ; c’est impossible. — La gaieté ne saurait émouvoir une âme à l’agonie.

ROSALINE.

— Eh ! c’est le moyen d’étouffer cet esprit narquois — dont l’influence n’est due qu’à la complaisante faveur — que des rieurs ineptes accordent à des fous. — Le succès d’un bon mot est tout entier dans l’oreille — de qui l’écoute, et non dans la langue — de qui le fait. Si donc les