Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1869, tome 6.djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
PEINES D'AMOUR PERDUES.

TROGNE.

Rien, maître Phalène, que ce qu’on lui montrera. Il ne sied pas aux prisonniers d’être trop silencieux en paroles, et aussi je ne dirai rien. Grâce à Dieu, j’ai autant d’impatience qu’un autre homme ; et aussi, je saurai rester tranquille.

Sortent Phalène et Trogne.
ARMADO, seul.

J’adore jusqu’à la terre vile que foule son soulier plus vil, guidé par son pied si vil ! Si j’aime, je me parjure, ce qui est une grande preuve de déloyauté. Et comment l’amour peut-il être loyal, quand il naît déloyalement ? L’amour est un esprit familier ; l’amour est un diable ; il n’y a de mauvais ange que l’amour. Et pourtant Samson a été tenté comme moi, et il avait une force supérieure. Pourtant Salomon a été séduit comme moi, et il avait une fort grande sagesse. La flèche de Cupidon est trop acérée pour la massue d’Hercule ; aussi est-elle irrésistible pour la rapière d’un Espagnol. Les premières règles de l’art ne me serviront de rien ; il ne se soucie pas de l’escrime, il se joue des lois du duel ! Son humiliation est d’être appelé enfant, mais sa gloire est de vaincre les hommes. Adieu, valeur ! Rouille-toi, rapière ! Silence, tambour ! Votre maître est amoureux ; oui, il aime !… Que quelque dieu de la rime impromptue m’assiste ; car, à coup sûr, je vais tourner au faiseur de sonnets. Rêve, esprit ! Écris, plume ! Car j’ai à produire des in-folios entiers !

Il sort.