Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1869, tome 6.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
23
INTRODUCTION.

Bon[1]. Le récit de Goulard avait été à son tour traduit en anglais, et c’est par cette dernière version que le conte arabe, modifié par tant de migrations successives, a été révélé à Shakespeare. Dans la Sauvage apprivoisée primitive, le poëte met scrupuleusement en scène la narration qui lui a été transmise. Il transporte sur son théâtre les péripéties essentielles de la légende. Comme Abou Hassan, Christophe Sly endormi est transféré dans une demeure splendide où toutes les jouissances de ce monde lui sont offertes dès son réveil ; transformé en grand seigneur, il a sa troupe de comédiens, comme Abou Hassan a son cortége d’odalisques ; enfin, comme Abou Hassan, il cède à un nouveau sommeil durant lequel il est empoigné par des bras vigoureux et impitoyablement reporté dans son milieu de misère. Quand il rouvre les yeux, il se retrouve devant la porte du cabaret où il avait l’habitude de boire. L’aubergiste l’a réveillé d’un coup de pied, et Sly le considère d’un air ébahi :

— Qui est là ? s’écrie-t-il. L’aubergiste !… Mon Dieu ! l’ami, j’ai eu cette nuit le plus beau rêve dont tu aies jamais ouï parler dans toute ta vie.

— Ma foi ! vous auriez mieux fait de rentrer chez vous, votre femme va vous gronder vertement pour être resté à rêver ici cette nuit.

— Bah ! tu crois ? réplique Christophe, encore sous l’impression du spectacle auquel il vient d’assister. Je sais maintenant comment on apprivoise une sauvage. J’en ai rêvé toute cette nuit. Je vais trouver ma femme ; et je l’apprivoiserai à mon tour, si elle se met en colère.

Tel est le dénoûment, conforme à la tradition, que le poëte avait adopté d’abord. Mais plus tard, en revoyant son

  1. Voir ce récit aux Notes.