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SCÈNE III.
près d’elle qu’elle ne l’eût, je crois, désiré. Elle était seule, et se parlait à elle-même, transmettant ses réflexions à son oreille, sans se douter, j’ose le jurer, que ses paroles parvinssent à une pensée étrangère. Son secret était qu’elle aimait votre fils : « La Fortune, disait-elle, n’est point une déesse, puisqu’elle a mis une telle différence entre nos deux conditions ; l’amour n’est point un dieu, puisque son pouvoir ne s’étend que là où les rangs sont égaux ; Diane n’est point la reine des vierges, puisqu’elle a laissé surprendre sa pauvre guerrière, à la première attaque, sans la secourir ou sans vouloir payer sa rançon. » Voilà ce qu’elle disait du ton le plus amèrement douloureux dont jamais vierge se soit exprimée devant moi. J’ai cru qu’il était de mon devoir de vous apprendre cela au plus vite ; puisque, quelque malheur pouvant arriver, vous êtes intéressée à le savoir.
LA COMTESSE.

Vous avez agi honnêtement. Gardez cela pour vous ; bien des présomptions me l’avaient fait soupçonner, mais elles étaient si vacillantes encore que j’étais balancée entre la croyance et le doute. Je vous en prie, laissez-moi ; renfermez ce secret dans votre âme ; je vous remercie de votre honnête sollicitude. Nous reparlerons de cela tout à l’heure.

Sort l’Intendant.

— Il en était ainsi de moi, quand j’étais jeune : — de par la nature, telle est notre condition ; cette épine-là — est inséparablement attachée à la rose de notre jeunesse ; — créatures de sang, nous avons cela dans le sang. — C’est la marque et le sceau de la vraie nature — qu’une énergique passion imprimée dans un jeune cœur. Le souvenir de mes beaux jours passés me rappelle les mêmes fautes. Oh ! alors elles n’en étaient pas pour moi !