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SCÈNE I.

PAROLES.

Il n’y a pas grand’chose à dire en sa faveur, elle est contraire à la loi de nature. Parler à l’éloge de la virginité, c’est accuser votre mère : ce qui est la plus flagrante irrévérence. Autant se pendre que mourir vierge : la virginité se suicide ; elle devrait être enterrée sur les grands chemins, loin de toute terre sainte, comme coupable envers la nature d’un attentat désespéré. La virginité engendre les vers, comme le fromage ; elle se consume jusqu’à la dernière rognure et meurt ainsi à force de rassasier son propre appétit. En outre, la virginité est morose, arrogante, vaine, pleine d’égoïsme, péché le plus expressément défendu par les canons. Ne la gardez pas ; vous ne pouvez que perdre avec elle. Délivrez-vous-en ; dans dix ans elle sera décuplée, ce qui est un fort bel intérêt ; et le principal lui-même n’en vaudra guère moins. Défaites-vous-en.

HÉLÈNE.

Que faut-il faire, messire, pour la perdre à son goût ?

PAROLES.

Voyons… morbleu ! on ne peut que mal choisir ; il faut toujours favoriser ce qui ne lui est point favorable… C’est une marchandise qui perd son lustre en magasin ; plus on la garde, moins elle vaut ; débarrassez-vous-en, tandis qu’elle est encore vendable ; profitez du temps où elle est recherchée. La virginité, semblable à un vieux courtisan, porte une toque qui n’est plus de mise ; elle a une parure riche, mais passée de mode, comme ces broches et ces cure-dents qui sont hors d’usage à présent. Une datte mûre fait mieux dans un gâteau ou dans un potage que sur votre figure ; et votre virginité, votre vieille virginité, est comme une de nos poires flétries, laide à voir, sèche au goût ; morbleu ! c’est une poire flétrie, elle était bonne