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SCÈNE I.
tion promet : elle hérite de dispositions qui embellissent les plus belles qualités ; car là où les talents s’allient à une âme déshonnête, ils deviennent des dons déplorables, ils ne sont plus que des vertus traîtresses, mais, en elle, ils sont rehaussés par la candeur ; elle a une loyauté naturelle qui achève son mérite.
LAFEU.

Vos éloges, madame, tirent d’elles des larmes.

LA COMTESSE.

Cette eau amère est la meilleure dont une jeune fille puisse assaisonner l’éloge reçu par elle… Le souvenir de son père n’approche jamais de son cœur sans que la tyrannie du chagrin retire à ses joues les couleurs de la vie. Assez, Hélène, allons, assez ; on pourrait croire que vous faites paraître plus de douleur que vous n’en éprouvez.

HÉLÈNE.

Si je fais paraître la douleur, c’est que je l’éprouve.

LAFEU.

Une affliction modérée est une dette envers les morts ; une douleur excessive est l’ennemie des vivants.

LA COMTESSE.

Si les vivants combattent résolument la douleur, elle meurt vite de son excès même.

LAFEU.

Comment faut-il entendre cela ?

BERTRAND.

Madame, j’implore vos saintes prières.

LA COMTESSE.

— Sois béni, Bertrand ! et sois le successeur de ton père — par tes actes, comme tes traits ! que ta race et ta vertu — se disputent l’empire en toi, et que ta bonne grâce — égale ta naissance. Aime chacun, fie-toi à peu, — ne fais tort à personne. Arme-toi contre ton ennemi