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LA SAUVAGE APPRIVOISÉE.
avons descendu une côte épouvantable, mon maître étant en croupe derrière ma maîtresse…
CURTIS.

Tous deux sur un seul cheval ?

GRUMIO.

Qu’est-ce que ça te fait ?

CURTIS.

Ça fait beaucoup au cheval.

GRUMIO.

Alors, raconte toi-même l’histoire. Si tu ne m’avais pas interrompu, tu aurais appris comme quoi le cheval est tombé, et elle sous le cheval, et dans quel bourbier ! Tu aurais appris comme quoi elle était toute souillée ; comme quoi il l’a laissée avec le cheval sur elle ; comme quoi il m’a battu parce que son cheval avait bronché, comme quoi elle a pataugé dans la bourbe pour l’arracher de moi ; comme quoi il jurait ; comme quoi elle priait, elle qui n’avait jamais prié ; comme quoi je criais ; comme quoi les chevaux se sont échappés ; comme quoi la bride qu’elle tenait s’est rompue ; comme quoi j’ai perdu ma croupière ; et mille autres choses mémorables qui vont mourir dans l’oubli, tandis que toi, tu rentreras dans ta tombe avec toute ton ignorance.

CURTIS.

À ce compte, il est plus intraitable qu’elle.

GRUMIO.

Oui, et c’est ce que toi et le plus faraud d’entre vous reconnaîtrez quand il sera de retour. Mais à quoi bon te dire tout ça ? Appelle Nathaniel, Joseph, Nicholas, Philippe, Walter, Biscuit et le reste ; que leurs cheveux soient bien lissés, leurs habits bleus bien brossés, et leurs jarretières bien uniformes ; qu’ils fassent la révérence de la jambe gauche et qu’ils ne s’avisent pas de toucher un poil de la queue du cheval de mon maître