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INTRODUCTION.

porte la précieuse fiole qui contient sa réunion à Roméo.

Rentrée à la maison, Juliette suit les instructions de son directeur ; elle feint de consentir à épouser Pâris, et, tandis que Capulet, dupe de ce pieux mensonge, veille aux préparatifs de la noce, elle s’apprête pour les funérailles. Une fois seule dans sa chambre, elle saisit la fiole ; mais, au moment d’avaler l’étrange liqueur, elle sent un frisson qui lui glace le sang ; sa frêle et délicate constitution se révolte contre la violence qui lui est faite. Une lutte sinistre s’établit entre sa nature et sa volonté, entre les instincts de la femme et la résolution de l’épouse. Toutes les suppositions que peut suggérer l’effroi traversent en un instant sa pensée. Elle craint d’être empoisonnée ; elle craint que Roméo n’arrive pas à temps ; elle craint d’être suffoquée ou tout au moins de devenir folle dans ce caveau « où depuis des siècles sont entassés les os de ses ancêtres, où Tybalt sanglant pourrit sous son linceul, où, à certaines heures de la nuit, les esprits apparaissent. » Elle craint de s’éveiller avant l’heure « au milieu de gémissements semblables à ces cris de mandragore déracinée que les vivants ne peuvent entendre sans tomber en démence. Oh ! alors elle perdrait la raison ; et peut-être, insensée, voudrait-elle jouer avec les squelettes de ses ancêtres, et, saisissant l’os de quelque grand parent, en broyer sa cervelle désespérée ! » Dans son délire, elle aperçoit le spectre de son cousin poursuivant Roméo… « Arrête, Tybalt, arrête ! » Il semble qu’en ramenant sa pensée vers Roméo, Juliette ait repris courage. Elle porte la fiole à ses lèvres et avale le breuvage, dans un toast à son bien-aimé : « Roméo ! Roméo ! Roméo ! voici à boire, je bois à toi. »

Mistress Jameson, dans une remarquable étude, a justement fait ressortir la différence qui existe entre Juliette et les autres types féminins de Shakespeare. L’énergie de