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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

son accoutumée, auquel il dit, ayant ses yeux tout mouillés de grosses larmes :

— Mon seigneur, il vous est survenu un accident si étrange, que, si vous ne vous armez de constance, j’ai peur de devenir le cruel ministre de votre mort. Sachez, monseigneur, que depuis hier matin madamoiselle Juliette a laissé ce monde pour chercher repos en l’autre, et l’ai vue en ma présence recevoir sépulture au cimetière de Saint-François.

Au son de ce triste message, Rhoméo commença à mener tel deuil qu’il sembla que ses esprits, ennuyés du martyre de sa passion, dussent à l’instant abandonner son corps ; mais son fort amour qui ne put lui permettre de faillir jusques à l’extrémité, lui mit en fantaisie que s’il pouvait mourir auprès d’elle, sa mort serait plus glorieuse, et elle (ce lui semblait) mieux satisfaite. À raison de quoi, après s’être lavé la face, de peur qu’on ne connût son deuil, il part de sa chambre et défend à son serviteur de le suivre, puis il s’en va par tous les cantons de la ville, chercher s’il pourrait trouver remède propre à son mal. Et ayant avisé entre autres la boutique d’un apothicaire assez mal peuplée de boîtes et autres choses requises à son état, il pensa lors en lui-même que l’extrême pauvreté du maître le ferait volontiers consentir à ce qu’il prétendait lui demander. Et après l’avoir tiré à part, lui dit en secret :

— Maître, voilà cinquante ducats que je vous donne, et me délivrez quelque violente poison, laquelle en un quart d’heure fasse mourir celui qui en usera.

Le malheureux, vaincu d’avarice, lui accorda ce qu’il lui demandait, et feignant lui donner quelque autre médecine devant les gens, lui prépare soudainement le venin, puis lui dit tout bas :

— Monseigneur, je vous en donne plus que n’avez