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APPENDICE.

de sorte qu’il lui semblait avis qu’elle avait déjà une infinité de morts autour d’elle qui la tiraillaient de tous côtés et la mettaient en pièces : et sentant que ses forces se diminuaient peu à peu, et craignant que par trop grande débilité elle ne pût exécuter son entreprise, comme furieuse et forcenée, sans y penser plus avant, elle engloutit l’eau contenue en la fiole ; puis, croisant les bras sur son estomac, perdit à l’instant tous ses sentiments du corps et demeura en extase.

Sa dame de chambre, qui l’avait enfermée avec la clef, ouvrit la porte, et, la pensant éveiller, l’appelait souvent, et lui disait : « Madamoiselle, c’est trop dormir ! Le comte Pâris nous viendra lever. » La pauvre femme chantait aux sourds, car, quand tous les plus horribles et tempétueux sons du monde eussent résonné à ses oreilles, ses esprits de vie étaient tellement liés et assoupis, qu’elle ne s’en fût éveillée.

De quoi la pauvre vieille étonnée commença à la manier, mais elle la trouva partout froide comme marbre : puis, lui mettant la main sur sa bouche, jugea soudain qu’elle était morte, car elle n’y avait trouvé aucune respiration : dont comme forcenée et hors de soi, courut l’annoncer à la mère, laquelle effrénée comme un tigre qui a perdu ses faons, entra soudainement en la chambre de sa fille et, l’ayant avisée en si piteux état, la pensant morte s’écria :

— Ah ! mort cruelle, qui as mis fin à toute ma joie et félicité, exécute le dernier fléau de ton ire contre moi, de peur que, me laissant vivre le reste de mes jours en tristesse, mon martyre ne soit augmenté.

Lors elle se prit tellement à soupirer qu’il semblait que le cœur lui dût fondre : et ainsi qu’elle renforçait ses cris, voici le père, le comte Pâris, et grande troupe de gentilshommes et damoiselles, qui étaient venus pour