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APPENDICE.

— M’amie, si vous continuez en ces façons de faire, vous avancerez la mort à votre bon homme de père, et à moi semblablement qui vous ai aussi chère que la vie. Parquoi modérez-vous pour l’avenir, et mettez peine de vous réjouir, sans plus songer à la mort de votre cousin Thibaut, lequel, s’il a plu à Dieu de l’appeler, le pensez-vous révoquer par vos larmes et contrevenir à sa volonté ?

Mais la pauvrette, qui ne pouvait dissimuler son mal, lui dit :

— Madame, il y a longtemps que les dernières larmes de Thibaut sont jetées, et crois que la source en est si bien tarie, qu’il n’en renaîtra plus d’autre.

La mère, qui ne savait où tendaient tous ces propos, se tut de peur d’ennuyer sa fille. Et quelques jours après, la voyant continuer en ses tristesses et angoisses accoutumées, tâcha par tous moyens de savoir, tant d’elle que de tous les domestiques de la maison, l’occasion de son deuil, mais tout en vain. De quoi la pauvre mère, fâchée outre mesure, s’avisa de faire entendre le tout au seigneur Antonio, son mari. Et, un jour qu’elle le trouva à propos, lui dit :

— Monseigneur, si vous avez considéré la contenance de notre fille et ses gestes, depuis la mort du seigneur Thibaut, son cousin, vous y trouverez une si étrange mutation, que vous en demeurerez émerveillé. Car elle n’est pas seulement contente de perdre le boire, le manger et le dormir, mais elle ne s’exerce à autre chose qu’à pleurer et lamenter, et n’a autre plus grand plaisir et contentement que de se tenir récluse en sa chambre, où elle se passionne si fort que, si nous n’y donnons ordre, je doute désormais de sa vie, et, ne pouvant savoir l’origine de son mal, le remède sera plus difficile. Car encore que je me sois employée à toute extrémité, je n’en ai