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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

journée sembla longue à ces passionnés amants, il en faut croire ceux qui ont fait autrefois essai de semblables choses, car chaque minute d’heure leur durait mille ans, de sorte que, s’ils eussent pu commander au ciel, comme Josué au soleil, la terre eût été bientôt couverte de très-obscures ténèbres.

L’heure de l’assignation venue, Rhoméo s’accoutra des plus somptueux habits qu’il eût, et, guidé par sa bonne fortune, se sentant approcher du lieu où son cœur prenait vie, se trouva tant délibéré, qu’il franchit agilement la muraille du jardin. Étant arrivé joignant la fenêtre, aperçut Juliette qui avait jà tendu son laçon de corde pour le tirer en haut, et avait si bien agrafé ladite échelle que, sans aucun péril, il entra en la chambre, laquelle était aussi claire que le jour, à cause de trois mortiers de cire vierge que Juliette avait fait allumer pour mieux contempler son Rhoméo[1]. Juliette, de sa part, pour toute parure seulement de son couvrechef, s’était coiffée de nuit : laquelle incontinent qu’elle l’aperçut, se brancha à son col, et, après l’avoir baisé et rebaisé un million de fois, se cuida pâmer entre ses bras, sans qu’elle eût pouvoir de lui dire un seul mot, mais ne faisait que soupirer, tenant sa bouche serrée contre celle de Rhoméo, laquelle ainsi transie le regardait d’un œil piteux, qui le faisait vivre et mourir ensemble. Et après être revenue quelque peu à soi, elle lui dit, tirant un profond soupir de son cœur :

— Ah ! Rhoméo, exemplaire de toute vertu et gentillesse, vous soyez le très-bien venu maintenant en ce lieu, auquel pour votre absence, et pour la crainte de votre personne, j’ai tant jeté de larmes, que la source en est presque épuisée ; mais maintenant que je vous tiens

  1. Ces détails curieux sont de l’imagination du traducteur.