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LES AMANTS TRAGIQUES.

cette sensibilité, et, pour consoler la pauvre enfant, se met en tête de la marier au comte Pâris, jeune seigneur aimable, riche et fort accrédité dans Vérone. Sans crier gare, il envoie au comte une lettre pressante : « Je vous donne ma fille, écrit-il, quittez tout, venez nous trouver[1]. »

Ici l’intrigue se complique. La comédie, qui jusqu’ici a suivi sans trop de divagation le scénario italien, s’en écarte brusquement et s’égare dans les méandres de l’imbroglio picaresque. À peine sorti de Vérone, Rosélo tombe en plein dans une embuscade que lui ont tendue les Castelvins. Au moment où il va succomber sous le nombre de ses agresseurs, survient fort à propos le comte Pâris, qui lui prête main-forte, le dégage et lui offre un asile dans une charmante villa qu’il possède aux environs. C’est là, en présence de Rosélo, qu’il reçoit la missive d’Antoine : il s’empresse de la montrer à son hôte pour lui faire part de la bonne nouvelle. Rosélo la lit, se croit renié par Julie, et part aussitôt pour Ferrare avec l’intention formelle de se venger de cette trahison dans les bras de quelque maîtresse.

La troisième journée nous montre Julie renfermée chez elle, et violemment persécutée par son père qui veut lui imposer le comte Pâris. La jeune femme désespérée écrit au prêtre Aurélio qu’elle est décidée à mourir plutôt que de subir ce second mariage, et envoie Célie porter la lettre. La soubrette revient avec un flacon que lui a remis le prêtre et qui contient, a-t-il dit, un calmant souverain. Que madame prenne cette potion, et elle sera délivrée de tous ses tourments ! Cette affirmation laconique suffit à Julie : « Aurélio, pense-t-elle, est un grand

  1. Le vieux Capulet dit avec la même outrecuidance : « Sire Pâris, je puis hardiment vous offrir l’amour de ma fille. »