Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 7.djvu/402

Cette page a été validée par deux contributeurs.
398
ANTOINE ET CLÉOPÂTRE, ROMÉO ET JULIETTE.

piqûres en l’un de ses bras fort petites, et qui n’apparaissaient quasi point ; à quoi il semble que César lui-même ajouta foi, pour ce qu’en son triomphe il fit porter l’image de Cléopatra, qu’un aspic mordait au bras. Voilà comme on dit qu’il en alla. Quant à César, combien qu’il fût fort marri de la mort de cette femme, si eut-il en admiration la grandeur et noblesse de son courage, et commanda qu’on inhumât royalement et magnifiquement son corps avec celui d’Antonius, et voulut aussi que ses femmes eussent pareillement honorables funérailles. Cléopatra mourut en l’âge de trente-huit ans, après en avoir régné vingt et deux, et gouverné avec Antonius plus de quatorze. »


(34) Les diverses traductions de Roméo et Juliette qui jusqu’ici ont paru dans notre langue ont toutes été faites sur le texte inexact d’une édition toute moderne, publiée au siècle dernier par Steevens et Malone. À défaut d’autre qualité, la traduction que voici a du moins ce mérite tout nouveau de reproduire l’œuvre de Shakespeare telle que l’auteur l’a écrite, et non telle que ses commentateurs l’ont forgée. Le texte que j’ai adopté est celui de l’édition in-quarto qui fut imprimée, en 1599, par Thomas Creede pour Cuthbert Burby et qui a servi de type aux éditions de 1609 et de 1623.

Ainsi que l’indique son titre même, cette édition princeps fut composée sur un manuscrit nouvellement corrigé par l’auteur. Deux ans avant sa publication, avait paru à l’étalage du libraire John Danter un petit volume in-quarto de trente-neuf feuillets, sur la première page duquel on lisait ceci : « La tragédie excellemment conçue de Roméo et Juliette, telle qu’elle a été jouée souvent, aux grands applaudissements du public, par les serviteurs du très-honorable lord Hunsdon, 1597. » Cette édition, qui se vendait alors quelques deniers, a acquis aujourd’hui une valeur immense, car elle donne le drame de Roméo et Juliette tel que le poëte l’a primitivement conçu et écrit. Grâce aux rares exemplaires qui nous en sont parvenus, la critique peut maintenant se rendre un compte exact des phases qu’a subies la pensée de Shakespeare avant de trouver son expression suprême ; elle peut comparer le premier mot au dernier, le brouillon à l’œuvre, l’ébauche au monument : étude pleine d’attraits qui lui permet de pénétrer, sans indiscrétion, dans le laboratoire du poëte et de surprendre sans scrupule les secrets les plus intimes de son génie !

En effet, le rapprochement entre le Roméo et Juliette de 1597 et le Roméo et Juliette de 1599, en nous faisant voir quel trait l’auteur a jugé nécessaire de rectifier, quelle figure il a trouvé bon de modifier, nous aide à mieux comprendre sa pensée même. Disons vite que ces