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ANTOINE ET CLÉOPATRE, ROMÉO ET JULIETTE.

l’amour de Cléopatra, encore qu’il vît devant ses yeux qu’à faute de forçaires ses capitaines prenaient et enlevaient de la pauvre Grèce par force toutes gens qu’on pouvait trouver par les champs, viateurs passants, muletiers, moissonneurs, de jeunes garçons, et encore ne pouvaient-ils pas fournir à emplir les galères, tellement que la plus grande partie était vide et ne pouvait voguer qu’à peine à cause qu’il n’y avait pas assez de gens de rame dedans. Mais au contraire, celles de Cæsar n’étaient point bâties pompeusement en grandeur et hauteur pour une ostentation de magnificence, mais étaient légères et faciles à manier, armées et fournies de forçaires autant comme il leur en fallait, lesquelles il tenait toutes prêtes ès ports de Tarente et de Brundusium. Si manda à Antonius qu’il ne reculât plus en perdant temps et qu’il vînt avec son armée en Italie, et quant à lui, qu’il lui baillerait havres et rades pour pouvoir sûrement et sans empêchement prendre terre, et qu’il se reculerait avec son armée arrière de la mer au dedans de l’Italie, autant que se peut étendre la course d’un cheval, jusqu’à ce qu’il eût exposé son armée en terre et qu’il fût logé. Antonius bravant à l’opposite, lui remanda qu’il le défiait de combattre seul à seul en champ clos, combien qu’il fût le plus vieil, et, s’il fuyait ce combat, qu’il le combatirait en bataille rangée ès campagnes de Pharsale, comme avaient fait auparavant Julius Cæsar et Pompéius. »

(19) « Après donc qu’il fut tout conclu et arrêté qu’on combattrait par mer, il fit brûler toutes les autres naves fors que soixante égyptiennes, et ne retint que les meilleures et les plus grandes galères depuis trois rangs de rames jusqu’à dix, sur lesquelles il mit vingt et deux mille combattants, avec deux mille hommes de trait : mais ainsi qu’il ordonnait ses gens en bataille, il y eut un chef de bande, vaillant homme et qui s’était trouvé en plusieurs affaires et rencontres sous sa charge, tellement qu’il en avait le corps tout détaillé et cicatrice de coups, lequel, ainsi qu’Antonius passait au long de lui, s’écria et dit tout haut : Sire empereur, comment mets-tu ton espérance en ces méchants et frêles bois ici ? te défies-tu de ces miennes cicatrices et de cette épée ? laisse combattre les Phéniciens et les Ægyptiens sur la mer et nous laisse la terre ferme sur laquelle nous avons accoutumé de vaincre ou de mourir debout. Antonius passa outre sans lui répondre, seulement lui fit-il signe de la main et de la tête, comme s’il eût voulu admonester qu’il eût bon courage, toutefois il n’avait pas lui-même guère bonne espérance. »

(20) « Toutefois le combat était encore égal et la victoire en doute