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ROMÉO ET JULIETTE.
âme, bouleversée, — n’y a pas fait attention… Nous étions à cheval… Il me contait, je crois, — que Pâris devait épouser Juliette. — M’a-t-il dit cela, ou l’ai-je rêvé ? — Ou, en l’entendant parler de Juliette, ai-je eu la folie — de m’imaginer cela ?
Prenant le cadavre par le bras.

Oh ! donne-moi ta main, — toi que l’âpre adversité a inscrit comme moi sur son livre ! — Je vais t’ensevelir dans un tombeau triomphal… — Un tombeau ? Oh ! non, jeune victime, c’est un louvre splendide, — car Juliette y repose, et sa beauté fait — de ce caveau une salle de fête illuminée.

Il dépose Pâris dans le monument.

— Mort, repose ici, enterré par un mort. — Que de fois les hommes à l’agonie — ont eu un accès de joie, un éclair avant la mort, — comme disent ceux qui les soignent… Ah ! comment comparer — ceci à un éclair ?

Contemplant le corps de Juliette.

Ô mon amour ! ma femme ! — La mort qui a sucé le miel de ton haleine — n’a pas encore eu de pouvoir sur ta beauté : — elle ne t’a pas conquise ; la flamme de la beauté — est encore toute cramoisie sur tes lèvres et sur tes joues, — et le pâle drapeau de la mort n’est pas encore déployé là…

Allant à un autre cercueil.

— Tybalt ! te voilà donc couché dans ton linceul sanglant ! — Oh ! que puis-je faire de plus pour toi ? — De cette même main qui faucha ta jeunesse, — je vais abattre celle de ton ennemi. — Pardonne-moi, cousin.

Revenant sur ses pas.

Ah ! chère Juliette, — pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire — que le spectre de la Mort est amoureux — et que l’affreux monstre décharné te garde — ici dans les ténèbres pour te posséder !… — Horreur ! Je veux