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ROMÉO ET JULIETTE.
frénésie ! passion ! amour ! — apparais-nous sous la forme d’un soupir ! — Dis seulement un vers, et je suis satisfait ! — Crie seulement hélas ! accouple seulement amour avec jour ! — Rien qu’un mot aimable pour ma commère Vénus ! — Rien qu’un sobriquet pour son fils, pour son aveugle héritier, — le jeune Abraham Cupido, celui qui visa si juste, — quand le roi Cophétua s’éprit de la mendiante (67) !… — Il n’entend pas, il ne remue pas, il ne bouge pas. — Il faut que ce babouin-là soit mort : évoquons-le (68). — Roméo, je te conjure par les yeux brillants de Rosaline, — par son front élevé et par sa lèvre écarlate, — par son pied mignon, par sa jambe svelte, par sa cuisse frémissante, — et par les domaines adjacents : — apparais-nous sous ta propre forme !
BENVOLIO.

— S’il t’entend, il se fâchera.

MERCUTIO.

— Cela ne peut pas le fâcher ; il se fâcherait avec raison, — si je faisais surgir dans le cercle de sa maîtresse un démon — d’une nature étrange que je laisserais en arrêt — jusqu’à ce qu’elle l’eût désarmé par ses exorcismes. — Cela serait une offense : mais j’agis en enchanteur — loyal et honnête ; et, au nom de sa maîtresse, — c’est lui seul que je vais faire surgir.

BENVOLIO.

— Allons ! il s’est enfoncé sous ces arbres — pour y chercher une nuit assortie à son humeur. — Son amour est aveugle, et n’est à sa place que dans les ténèbres.

MERCUTIO.

— Si l’amour est aveugle, il ne peut pas frapper le but… — Sans doute Roméo s’est assis au pied d’un pêcher, — pour rêver qu’il le commet avec sa maîtresse. — Bonne nuit, Roméo… Je vais trouver ma chère cou-