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SCÈNE I.

BENVOLIO.

Avec des sanglots ? non ! — Dites-le-moi sérieusement.

ROMÉO.

— Dis donc à un malade de faire sérieusement son testament ! — Ah ! ta demande s’adresse mal à qui est si mal ! — Sérieusement, cousin, j’aime une femme.

BENVOLIO.

— En le devinant, j’avais touché juste.

ROMÉO.

— Excellent tireur !… j’ajoute qu’elle est d’une éclatante beauté.

BENVOLIO.

— Plus le but est éclatant, beau cousin, plus il est facile à atteindre.

ROMÉO.

— Ce trait-là frappe à côté ; car elle est hors d’atteinte — des flèches de Cupidon ; elle a le caractère de Diane ; — armée d’une chasteté à toute épreuve, — elle vit à l’abri de l’arc enfantin de l’Amour ; — elle ne se laisse pas assiéger en termes amoureux, — elle se dérobe au choc des regards provocants (45) — et ferme son giron à l’or qui séduirait une sainte. — Oh ! elle est riche en beauté, misérable seulement — en ce que ses beaux trésors doivent mourir avec elle (46) !

BENVOLIO.

— Elle a donc juré de vivre toujours chaste ?

ROMÉO.

— Elle l’a juré, et cette réserve produit une perte immense. — En affamant une telle beauté par ses rigueurs, — elle en déshérite toute la postérité. — Elle est trop belle, trop sage, trop sagement belle, — car elle mérite le ciel en faisant mon désespoir. — Elle a juré de n’ai-