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ROMÉO ET JULIETTE.
toujours éveillé qui n’est pas ce qu’il est ! — Voilà l’amour que je sens et je n’y sens pas d’amour… — Tu ris, n’est-ce pas ?
BENVOLIO.

Non, cousin : je pleurerais plutôt.

ROMÉO.

— Bonne âme !… et de quoi ?

BENVOLIO.

De voir ta bonne âme si accablée.

ROMÉO.

Oui, tel est l’effet de la sympathie. — La douleur ne pesait qu’à mon cœur, et tu veux l’étendre sous la pression — de la tienne : cette affection que tu me montres — ajoute une peine de plus à l’excès de mes peines. — L’amour est une fumée de soupirs ; — dégagé, c’est une flamme qui étincelle aux yeux des amants ; — comprimé, c’est une mer qu’alimentent leurs larmes (44). — Qu’est-ce encore ? La folie la plus raisonnable, — une suffocante amertume, une vivifiante douceur !… — Au revoir, mon cousin.

Il va pour sortir.
BENVOLIO.

Doucement, je vais vous accompagner : — vous me faites injure en me quittant ainsi.

ROMÉO.

— Bah ! je me suis perdu moi-même ; je ne suis plus ici ; — ce n’est pas Roméo que tu vois, il est ailleurs.

BENVOLIO.

— Dites-moi sérieusement qui vous aimez.

ROMÉO.

— Sérieusement ? Roméo ne peut le dire qu’avec des sanglots.