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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.
Bon… avez-vous fini ? — Venez donc, et recueillez la dernière chaleur de mes lèvres… — Adieu, bonne Charmion ! Iras, un long adieu !
Elle les embrasse. Iras chancelle et tombe morte.
CLÉOPÂTRE, continuant.

— Y a-t-il donc un aspic sur mes lèvres ? quoi, tu tombes ? — Si tu peux si doucement te séparer de la nature, — le coup de la mort est comme l’étreinte d’un amant, — qui blesse et qu’on souhaite… Es-tu donc immobile ? — Si tu t’évanouis ainsi, tu déclares au monde — qu’il n’est pas digne d’un adieu.

CHARMION.

— Nuages épais, dissolvez-vous en pluie, que je puisse dire : — Les dieux eux-mêmes pleurent !

CLÉOPÂTRE.

Ceci m’accuse de lâcheté : — si elle rencontre la première Antoine dans son tourbillon, — il lui demandera de mes nouvelles en lui accordant ce baiser — qui est pour moi le ciel.

À l’aspic qu’elle applique sur son sein.

Viens, misérable tueur, — défais avec ta dent acérée le nœud ardu — de cette vie : pauvre bête venimeuse, — irrite-toi et dépêche… Oh ! que ne peux-tu parler, — pour que je t’entende appeler le grand César âne — stupide !

CHARMION.

Ô étoile d’Orient !

CLÉOPÂTRE.

Silence ! silence ! — ne vois-tu pas mon enfant à la mamelle — qui tette sa nourrice en l’endormant ?

CHARMION.

Oh ! finissons ! finissons !

CLÉOPÂTRE.

— Aussi suave qu’un baume, aussi doux que l’air, aussi tendre… — Ô Antoine !