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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.
des îles étaient — la monnaie qui tombait de ses poches.
DOLABELLA.

Cléopâtre !

CLÉOPÂTRE.

— Crois-tu qu’il puisse y avoir ou qu’il y ait jamais eu un homme — comme celui dont j’ai rêvé ?

DOLABELLA.

Non, gracieuse madame.

CLÉOPÂTRE.

— Vous en avez menti, à la face des dieux ! — Mais, qu’il ait existé ou qu’il doive exister jamais, — un pareil être dépasse les proportions du rêve. La nature est bien souvent impuissante — à rivaliser avec les créations merveilleuses de la pensée ; mais, en concevant — un Antoine, la nature l’emporterait sur la pensée — et condamnerait au néant toutes les fictions.

DOLABELLA.

Écoutez-moi, madame : — votre perte est aussi grande que vous-même, et votre douleur — répond à son immensité. Puissé-je ne jamais — obtenir un succès désiré, s’il n’est pas vrai que — votre affliction rebondit, par contre-coup, — jusqu’au fond de mon cœur !

CLÉOPÂTRE.

Je vous remercie, monsieur… — Savez-vous ce que César entend faire de moi ?

DOLABELLA.

— Je répugne à vous dire ce que je voudrais que vous connussiez.

CLÉOPÂTRE.

— Ah ! je vous en prie, monsieur !

DOLABELLA.

Quoique César soit magnanime…