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INTRODUCTION.

les mains ce mouchoir ? Ne peut-elle pas, au besoin, avoir reçu de Desdémona elle-même l’ordre de le copier ? Le More est bien candide en vérité de se laisser convaincre pour si peu. En faisant le scénario de son drame, Shakespeare a vu combien le moyen suggéré par Giraldi Cinthio était insuffisant, et alors il a imaginé cette scène si habile où, sous les yeux même du More qui s’est caché, Bianca vient rapporter à son amant le mouchoir que Cassio l’a priée de reproduire. C’est après cette scène qu’Othello, enfin persuadé, se laisse entraîner décidément par cette diabolique exclamation de Iago : « Voyez quel cas il fait de la folle créature votre femme. Ce qu’elle lui a donné, il le donne à sa… catin ! »

Oh ! dire qu’une courtisane, dire qu’une prostituée a froissé entre ses doigts impurs, et peut-être employé à essuyer quelque souillure, ce mouchoir, legs sacré de la mère au fils, offrande sacrée du fiancé à la fiancée ! Devant ce spectacle qui lui apparaît comme la profanation suprême de ses amours, le cœur d’Othello s’est changé en pierre. — « Procurez-moi du poison, Iago, dès cette nuit. — Non, répond Iago, étranglez-la dans son lit, le lit même qu’elle a déshonoré. — Bon, la justice de ceci me plaît. »

On sait la conclusion que Giraldi Cinthio indiquait ici à Shakespeare. Dans le Hécatommithi, lorsque la nuit fatale arrive, le More se couche avec sa femme, après avoir embusqué l’enseigne dans un cabinet contigu à la chambre à coucher. À un moment convenu, l’enseigne fait un certain bruit dans le cabinet. — « As-tu entendu ce bruit ? dit aussitôt le More à sa femme. — Oui, certainement. — Eh bien, lève-toi et vois ce que c’est. » Desdémona se jette à bas du lit, se dirige vers le cabinet, et, dès qu’elle ouvre la porte, elle se heurte contre l’enseigne qui lui brise les reins en la frappant violemment avec un bas