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INTRODUCTION.

faite de cœurs de vierge momifiés. Ce même mouchoir, une charmeresse d’Égypte le donna jadis à la mère d’Othello en lui disant que, tant qu’elle le garderait, elle serait aimée de son mari, mais qu’elle cesserait de l’être, si par malheur elle le perdait. La princesse le conserva religieusement et, à son lit de mort, le légua à son fils, en lui recommandant de le donner à sa fiancée, le jour où il se marierait. C’est pour déférer à ce vœu qu’Othello l’a offert à Desdémona. Aussi la Vénitienne ne s’en dessaisit-elle jamais ; elle l’a toujours sur elle ; sans cesse elle le baise et lui parle comme à un être vivant. C’est qu’en effet ce mouchoir est son cadeau de noces ; il lui rappelle ses premiers jours de pudique tendresse où elle rougissait devant son mari comme devant un amant. Ce mouchoir n’est pas seulement le symbole de son bonheur : il en est le gage. Il a l’influence du souvenir, il a la puissance du mystère. Malheur à Desdémona le jour où elle se sera dépossédée de cette amulette ! La prédiction de la sibylle s’accomplira.

Comment se fait-il que la Vénitienne ait perdu son mouchoir ? Eh bien, c’est que l’honnête Iago s’en est emparé.

Depuis longtemps, Iago convoitait ce mouchoir ; mais, malgré l’envie qu’il en avait, il était trop circonspect pour le voler lui-même, à l’exemple de l’enseigne de Giraldi Cinthio. On sait, en effet, comment s’opère le larcin dans la nouvelle italienne. Un jour que Desdémona va faire une visite à la femme de l’enseigne, celui-ci lui présente sa petite fille, et tandis que la Vénitienne prend l’enfant dans ses bras, il s’approche et lui enlève lestement le mouchoir de sa ceinture. L’enseigne du drame anglais est un traître bien trop adroit pour s’exposer ainsi à être pris en flagrant délit d’escamotage. D’ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà vu, Iago n’agit jamais