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INTRODUCTION.

du soupçon ? Certes, voilà une séduction ardue. Othello is not easily wrought, Othello n’est pas facile à travailler. Puissant, illustre, supérieur aux autres hommes, élu entre tous par la plus accomplie des femmes, le More n’aurait pas aisément assez de modestie pour être jaloux. D’ailleurs il est de ces maris éclairés et tolérants qui trouvent tout simple « que leur femme soit jolie, aime la compagnie, ait le parler libre, chante, joue et danse bien. » Cherchons bien cependant. Il est un point, un seul point par lequel Othello est attaquable : Othello est More ! Il n’a pas le teint blanc comme vous et moi ; il a cette nuance bronzée des Sarrasins qui, dans nos contrées, devient une étrangeté, sans cesser pour cela d’être une beauté. Eh bien, c’est par cette nuance qu’Othello est exposé à la critique. C’est par cette étrangeté qu’il est accessible à l’ironie et qu’il donne prise à Iago. Européen, il n’eût pas pu être jaloux ; Africain, il peut le devenir. Fatalité ! Othello a dans le sang le germe de sa chute.

Et en effet si, malgré tout son génie, malgré toute sa grandeur intellectuelle, malgré tout le prestige de sa physionomie, le More est physiquement un homme étrange, ne devient-il pas possible, sinon légitime, d’accuser d’excentricité l’Européenne qui s’est donnée à lui ? Ne devient-il pas facile à la malveillance de présenter le noble choix de Desdémona comme une singularité fort peu rassurante pour l’avenir ? « Oui, voilà le point. Avoir refusé tant de partis qui se proposaient et qui avaient avec elle toutes les affinités de patrie, de race et de sang ! Hum ! cela décèle un goût bien corrompu, une affreuse dépravation, des pensées dénaturées, et n’est-il pas à craindre que, son goût revenant à des inclinations plus normales, elle ne finisse par vous comparer aux personnes de son pays et peut-être par se repentir ? » Voilà