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INTRODUCTION.

ses contemporains une supériorité réelle et incontestable. Toutes les vertus morales, il les a ; il est d’une aimante, fidèle et noble nature, dit Iago. Toutes les qualités intellectuelles, il les possède ; la puissance de son esprit est reconnue même de ses détracteurs : « Nos hommes d’État, dit encore Iago, n’en trouveraient pas un autre à sa hauteur pour mener leurs affaires. » Dans la nouvelle italienne dont s’est inspiré Shakespeare, le More de Venise est tout simplement « un soldat très-vaillant qui, pour s’être montré courageux de sa personne et avoir donné des preuves d’une grande prudence et d’une vive intelligence, était très-aimé des seigneurs du sénat[1]. » Dans le drame, c’est un bien autre personnage. Le poëte en a fait un capitaine dont le Sénat unanime proclame la capacité suprême. Et voyez : aussitôt que la République est en danger, c’est Othello qu’elle choisit pour dictateur. Il n’y a que lui qu’elle puisse opposer à ce terrible ennemi, l’Ottoman. Il n’y a que lui qui puisse rassurer Venise et protéger Chypre. Son nom seul gagnerait des batailles comme celui du Cid. Étudiez les premières scènes du drame. Ne semblent-elles pas être faites uniquement à la gloire d’Othello ? « Vous devriez rentrer, lui insinue Iago en lui montrant les torches de Brabantio et de sa bande. — Non, répond fièrement le More, il faut qu’on me trouve. Mon caractère, mes titres, mon âme intègre doivent me montrer dans ma droiture. » Et, quand le père de Desdémona fond sur lui avec ses sbires, il s’offre impassible aux assaillants : « Rengainez vos épées, s’écrie-t-il, la rosée les rouillerait !… Bon seigneur, vous aurez plus d’autorité par vos années que par

  1. « Fu già in Venezia un Moro, molto valoroso, il quale, per essere pro della persona, e per avec dato segno di gran prudenza, e di vivace ingegno, era molto caro a que’ signori. » Voir à l’Appendice la traduction complète de cette nouvelle, extraite des Hecatommithi de Giraldi Cinthio.