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INTRODUCTION.

Shakespeare poursuit son dithyrambe ; son admiration grandit encore, et le voilà qui affirme non-seulement que le teint brun est le plus beau, mais qu’il est le seul beau. Fi de la blonde ! Vive la brune !

Will I swear beauty herself is black
And all they foul that thy complexion lack.

Ce qui veut dire à la lettre : Je jurerai que la beauté elle-même est noire, et qu’elles sont toutes laides celles qui n’ont pas ton teint. » Ainsi, la même couleur de peau que Shakespeare donne au More de Venise, il l’attribue à l’héroïne de ses sonnets. Or, que diraient les critiques allemands et américains si, prenant l’auteur au mot, nous soutenions qu’il était amoureux d’une négresse ?

Ainsi, il est certain que le mot black (noir) n’avait pas alors de valeur absolue, et pouvait, par extension, désigner un brun ou une brune. Mais voici un autre argument non moins décisif. Othello n’est pas le seul More que Shakespeare ait introduit sur la scène. Dans le Marchand de Venise, parmi les prétendants qui se mettent sur les rangs pour épouser Portia, il en est un dont la couleur étrange frappe tous les regards : c’est le prince de Maroc. Le premier mouvement qu’éprouve la châtelaine de Belmont devant ce soupirant est celui d’une vive répulsion, qu’elle exprime d’une manière toute comique : « S’il a l’âme d’un saint, comme il a l’extérieur d’un diable, j’aime mieux l’avoir pour confesseur que pour mari. » Iago fait justement la même comparaison satirique, lorsque, parlant de Desdémona nouvellement mariée, il déclare qu’elle sera bientôt fatiguée de contempler le diable. Eh bien, ce prince de Maroc, qui est

    que j’ai publiée. — Cette antithèse entre les mots black et fair se retrouve exactement dans ce vers à l’adresse d’Othello :

    Your son in law is far more fair than black