Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
INTRODUCTION.

a voulu qu’Othello fût nègre : « Quelle heureuse méprise, s’écrie le professeur allemand, que le More qui, dans le sens original, est incontestablement désigné comme un Sarrasin baptisé du nord de l’Afrique, ait été fait nègre par Shakespeare ! Nous reconnaissons dans Othello la sauvage nature de cette zone brûlante qui engendre les plus féroces bêtes de proie et les plus mortels poisons, apprivoisée seulement en apparence par le désir de la gloire, par les lois étrangères de l’honneur et par la douceur de plus nobles mœurs. » — La minorité, à la tête de laquelle s’est placé Coleridge, a soutenu énergiquement l’opinion opposée : « Il y aurait quelque chose de monstrueux, dit l’auteur des Literary Remains, à supposer la belle Vénitienne amoureuse d’un véritable nègre. Cela accuserait chez Desdémona une disproportion de goût, un manque d’équilibre que Shakespeare ne paraît pas le moins du monde avoir eus en vue. Même en supposant que ce fût là une tradition continue du théâtre, en supposant que Shakespeare, cédant à cette pensée que rien ne saurait être trop fortement marqué pour les sens de son auditoire, eût dans la pratique sanctionné cette tradition, cela prouverait-il quelque chose concernant son intention comme poëte de tous les âges ? »

S’il m’est permis d’exprimer mon humble opinion dans un débat auquel ont pris part de si célèbres interlocuteurs, j’oserai dire que je me range à l’avis de Coleridge ; j’irai même plus loin que le critique anglais ; j’oserai prétendre, après un examen attentif de la question, que Shakespeare n’a jamais sanctionné par la pratique la méprise dont le loue Schlegel. Il est très-vrai que, dans la première scène du drame, Roderigo, qui hait Othello, le désigne dédaigneusement comme l’homme aux lèvres épaisses. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Parce que l’épaisseur des lèvres est un trait caractéristique du type