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EXTRAIT DES HÉCATOMMITHI DE CINTHIO.

de lui avec l’épée en la main, et lui donna un coup aux jambes pour le faire choir : et quand il fut tombé, il se rua sur pour achever de le tuer.

Le caporal qui étoit courageux, ayant tiré son épée ainsi blessé qu’il étoit, s’étant dressé pour se défendre, cria à haute voix : je suis mort, je suis massacré.

Parquoi, l’enseigne entendant du peuple acourir et quelques soldats qui étoient logés là entour, il se mit à fuir, et puis retournant, il fit semblant d’être acouru au bruit.

Et se mettant entre les autres, il vit bien que du coup qu’il avoit en la jambe, il mourroit, et combien il en fût très joyeux, il s’en montra contristé avec le caporal comme s’il eût été son frère.

Le matin cela fut épandu par toute la ville, et Disdemone, qui ne pensoit point que de là lui dût avenir mal, se montra bien fâchée d’un tel accident ; de quoi le More eut d’elle une très-mauvaise opinion ; et s’en alla retrouver l’enseigne, et lui dit :

— Ma méchante femme est tant fâchée de l’accident du caporal, qu’elle en deviendra folle.

Et comment, dit-il, pourriez-vous penser autrement, vu qu’il est son âme ?

— Son âme, répliqua le More, je lui tirerai bien l’âme du corps, car je ne m’estimerais pas homme, si je n’ôtois cette méchante du monde.

Et devisans ensemble, s’il la devoit faire mourir de poison ou du glaive, l’enseigne dit :

J’ai trouvé un bon et sûr moyen.

La maison où vous demeurez est très-vieille, et le plancher de votre chambre a beaucoup de fentes ; il faut que nous battions Disdemone, avec une chausse plaine de sablon, tant qu’elle en meure afin qu’en elle n’apparaisse signe de meurtrissure et coup : quand elle sera