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APPENDICE.

que je te ferai connoistre, que mieux t’eût valu être né muet.

— Cela m’eût été aisé, dit le méchant, quand il venoit en votre maison, mais maintenant que vous l’avez chassé, non pour ce fait, mais pour une bien plus légère occasion, il me sera fort malaisé : car combien que j’estime qu’il jouisse de Disdemone, quand vous lui en donnez la commodité et le loisir, il le doit faire à cette heure, plus secrètement et avec plus d’avis, qu’il ne faisoit du commencement, se voyant haï de vous. Mais encore ne perdai-je pas l’espérance de vous pouvoir faire voir ce que vous ne voulez pas croire.

Et ce dit, ils départirent.

Le pauvre More s’en alla en la maison, attendant que le jour vint que l’enseigne lui fit voir ce qui le devoit rendre à jamais misérable.

Mais la chasteté de la femme du More mettoit l’enseigne en grande peine, pource qu’il lui sembloit ne pouvoir pas trouver le moyen de faire croire au More ce qu’il lui avoit dit faussement : et le méchant tournant son esprit en divers endroits, il pensa une nouvelle malice.

La femme du More alloit souvent, comme j’ai dit, en la maison de la femme de l’enseigne, et se tenoit avec elle une bonne partie du jour.

À raison de quoi celui-ci voyant qu’elle portoit aucune fois un mouchoir, qu’il savoit bien que le More lui avoit donné, lequel étoit subtilement ouvré à la moresque et que cette femme aimoit fort et le More aussi ; il pensa de le lui ôter secrètement, et de là préparer la dernière ruine, et comme il eût une petite fille de trois ans, que Disdemone aimait bien, un jour que la pauvre femme étoit allée en la maison de ce méchant, il prit la petite fille entre ses bras et la bailla à cette femme, qui la prit, et la mit contre la poitrine.