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APPENDICE.

autre chose ne m’induit, que le déplaisir que j’ai de vous voir privé d’un si cher ami, que vous a été le caporal, comme je le sais par le témoignage de vous même ; il n’a, ce néanmoins, commis une si grande faute, que vous lui deviez porter une si grande haine, mais vous autres Mores êtes naturellement tant chauds, que la moindre chose du monde vous incite à courroux et vengeance.

À ces paroles le More, plus courroucé, répondit :

— Telle la pourroit éprouver, qui ne le pense pas : je verrai telle vengeance des injures que l’on me fait, que j’en serai saoul.

La femme demeura toute étonnée, à ces paroles ; et voyant son mari échauffé contre elle, hors sa coutume, elle lui dit humblement :

— Autre chose qu’une bonne fin ne m’a induite à vous parler de cela : mais je ne vous en parlerai plus : à fin que vous n’ayez plus occasion de vous fâcher contre moi.

Le More voyant l’instance que derechef sa femme lui avoit fait, en faveur du caporal, pensa que les paroles que l’enseigne lui avoit tenues, eussent voulu signifier que Disdemone fût amoureuse de lui : et s’en alla à ce méchant tout fâché et triste, et commença à s’efforcer de le mettre en train de parler à lui plus apertement.

L’enseigne ententif à la ruine de cette pauvre femme, après avoir feint ne vouloir dire autre chose qui fût pour lui déplaire, se montrant vaincu des prières du More, dit :

— Je ne peux nier qu’il ne me fasse bien mal, d’avoir à vous dire chose, qui vous soit, sur toute autre, fâcheuse, mais puisque vous voulez que je vous la die et puis que le soin que je dois avoir de votre honneur, comme de mon seigneur, m’incite aussi de vous le dire,