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EXTRAIT DU DÉCAMÉRON DE BOCCACE.

était propre pour faire sûrement le commandement et service de son maître, lors il dégaina son épée, et, ayant pris la dame par le bras, lui dit :

— Madame, recommandez votre âme à Dieu, car il vous faut mourir, sans passer plus outre.

La dame, voyant l’épée et oyant ces paroles, dit toute épouvantée :

— Pour Dieu merci ! dis-moi, avant que tu me tues, en quoi je t’ai offensé, par quoi tu doives me tuer.

— Madame, dit le serviteur, vous ne m’avez en rien offensé ; mais en quoi vous avez offensé votre mari, je ne le sais, sinon qu’il m’a commandé que, sans aucune miséricorde, je vous tue en chemin ; et si je ne le faisais, il m’a menacé de me faire pendre par la gorge. Vous savez combien je lui suis tenu et comme il n’est possible que je lui contredise en chose qu’il me commande. Dieu me soit à témoin si je n’ai pas compassion de vous, mais je n’y puis faire autre chose.

À qui la dame dit en pleurant :

— Hélas, pour Dieu merci ! ne veuille point devenir homicide d’une personne qui jamais ne t’a offensé pour complaire à autrui. Dieu, qui connaît tout, sait que je ne fis jamais chose pour laquelle je doive recevoir une telle récompense de mon mari ; mais laissons maintenant ceci. Tu peux, quand il te plaira, satisfaire en une même heure à ton maître et à moi, en la manière que je te dirai. C’est que tu prennes mes habillements et me donnes ton pourpoint et un chaperon d’homme et t’en retournes avec mes dits habillements à ton maître, et lui dises que tu m’as tuée ; et je te jure par cette vie que tu m’auras donnée que je m’éloignerai et m’en irai si loin que jamais ni lui, ni toi, ni personne pareillement qui soit en ce pays, n’entendra nouvelle de moi.

Le serviteur, qui n’avait pas grande volonté de la tuer,