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CYMBELINE ET OTHELLO.

par la sérénité de l’action, et surtout par cette teinte générale de douce mélancolie qui répand sur les trois pièces comme un même crépuscule.

Je pense donc avec M. Collier que Cymbeline a dû être écrit vers l’année 1610, dans une période fugitive où le poëte, dégagé des passions de la jeunesse et peut-être réconcilié par le succès avec la destinée, regardait la vie d’un œil moins amer. Malone a fixé la représentation de Cymbeline à l’année 1605, mais les raisons qu’il a données sont tellement puériles, qu’elles ne supportent pas la discussion. Selon cet éditeur, Cymbeline a dû être écrit après Lear et avant Macbeth, parce que tel est l’ordre que Holinshed indiquait à Shakespeare, en lui racontant successivement les faits et gestes de ces trois rois ! Il m’est difficile, je l’avoue, de me laisser persuader par un argument de cette force. Si la succession historique devait être adoptée comme règle pour la classification des pièces de Shakespeare, il faudrait, pour être logique, placer au commencement de son théâtre les pièces romaines, qui en furent tout au contraire le couronnement. C’est-à-dire qu’il faudrait bouleverser l’œuvre entière du poëte. L’absurdité de ce système ressort de ses conséquences même.

Représenté tout d’abord dans les premières années du règne de Jacques Ier, Cymbeline fut repris avec un grand succès à la cour de Charles Ier, et le roi lui-même témoigna, pour la pièce, une admiration qui fut enregistrée officiellement par sir Henry Herbert, maître des cérémonies. Après une longue interruption causée par la fermeture de la scène, sous le régime puritain, ce drame reparut au Théâtre-Royal, pendant le règne de Jacques II, après avoir été malheureusement remanié par un certain Thomas Dursey, qui le fit jouer sous ce titre : la Princesse insultée ou le Pari fatal. Cette altération, je devrais dire cette dégradation, n’a pas été la seule que Cymbeline ait eu à subir. Dans le courant du dix-huitième siècle, il fut arrangé pour trois théâtres différents : par Charles Marsh, en 1775, par W. Hawkins, en 1759, et par Garrick, en 1761. De nos jours, Cymbeline, enfin restitué à son auteur dans sa pureté primitive, a repris triomphalement sa place dans le répertoire shakespearien, devant un public qui n’a cessé de prouver, par son empressement même, son enthousiasme pour l’œuvre originale.

(2) Deux éléments entrent dans la composition de Cymbeline : l’élément légendaire et l’élément historique. J’ai démontré, dans l’introduction, que l’élément légendaire avait été fourni au poëte par le roman français. Quant à l’élément historique, Shakespeare l’a