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LES JALOUX.

chez Imogène en un harmonieux ensemble. Aussi est-elle tellement parfaite, tellement belle de corps et d’âme, qu’elle semble appartenir au rêve plutôt qu’à la réalité, au ciel plutôt qu’à la terre. Elle n’a de la femme que tout juste ce qu’il en faut pour ne pas être un ange. — C’est cette créature idéale que Cymbeline et la reine entendent marier à ce monstre de Cloten.

Non, Imogène ne doit pas épouser Cloten. Il y a à la cour un chevalier, un brave, un descendant de ces Léonati qui ont défendu si vaillamment la Bretagne contre les Romains. « C’est un être tel que, cherchât-on son pareil dans toutes les régions de la terre, on trouverait toujours quelque infériorité dans celui qu’on lui comparerait. » Ce jeune homme, recueilli dès sa naissance dans le palais de Cymbeline, a été élevé avec Imogène ; tous deux ont grandi côte à côte ; ils ont traversé, la main dans la main, l’enfance, l’adolescence et le seuil de la jeunesse ; qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’ils s’aiment et à ce qu’ils veuillent achever ensemble la vie commencée ensemble ? Posthumus est simple chevalier, et Imogène est princesse royale. Qu’importe ? La vertu ne peut pas se mésallier à l’honneur, et la princesse royale épouse le simple chevalier.

Mais cette union si logique a des conséquences funestes. La reine, outrée d’un mariage qui dérange tous ses plans, fait exiler Posthumus, et les deux révoltés d’amour se séparent comme Roméo et Juliette, en faisant vœu de rébellion éternelle. Réfugié à Rome, Posthumus rencontre dans la maison de son hôte un certain Iachimo qui a la même outrecuidance que Bérenger dans le Miracle de Notre-Dame, qu’Ambrogiulo dans le Décaméron, que Raoul dans le Roman de la belle Jehanne et que Lisiart dans le Roman de la Violette. Ce fat ose prétendre qu’il n’est pas de femme vertueuse et parier qu’en une