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SCÈNE VI.

CASSIO.

Il a plu au démon Ivrognerie de céder sa place au démon Colère : une imperfection m’en montre une autre pour me faire bien franchement mépriser de moi-même.

IAGO.

Allons ! Vous êtes un moraliste trop sévère. Vu l’époque, le lieu et l’état de ce pays, j’aurais cordialement désiré que ceci ne fût pas arrivé : enfin, puisque la chose est ce qu’elle est, réparez-la à votre avantage.

CASSIO.

Que je veuille lui redemander ma place, il me dira que je suis un ivrogne. J’aurais autant de bouches que l’Hydre, qu’une telle réponse me les fermerait toutes… Être à présent un homme sensé, tout à l’heure un fou, et bientôt une brute ! Oh ! étrange ! Chaque coupe de trop est maudite et a pour ingrédient un démon.

IAGO.

Allons, allons, le bon vin est un bon être familier quand on en use convenablement ; ne vous récriez plus contre lui. Bon lieutenant ! vous pensez, je pense, que je vous aime.

CASSIO.

Je l’ai bien éprouvé, monsieur !… Moi, ivre !

IAGO.

Vous, comme tout autre vivant, vous pouvez être ivre une fois par hasard, l’ami ! Je vais vous dire ce que vous devez faire. La femme de notre général est maintenant le général. Je puis le dire, en ce sens qu’il s’est consacré tout entier, remarquez bien ! à la contemplation et au culte des qualités et des grâces de sa femme. Confessez-vous franchement à elle. Importunez-la pour qu’elle vous aide à rentrer en place : elle est d’une disposition si généreuse, si affable, si obligeante, si angélique, qu’elle