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OTHELLO.

CASSIO.

Je n’en ai bu qu’une ce soir, et prudemment arrosée encore ; voyez pourtant quel changement elle fait en moi. J’ai une infirmité malheureuse, et je n’ose pas imposer à ma faiblesse une nouvelle épreuve.

IAGO.

Voyons, l’homme ! c’est une nuit de fête. Nos galants le demandent.

CASSIO.

Où sont-ils ?

IAGO.

Là, à la porte : je vous en prie, faites-les entrer.

CASSIO.

J’y consens, mais cela me déplaît.

Il sort.
IAGO, seul.

— Si je puis seulement lui enfoncer une seconde coupe — sur celle qu’il a déjà bue ce soir, — il va être aussi querelleur et aussi irritable — que le chien de ma jeune maîtresse… Maintenant, mon fou malade, Roderigo, — que l’amour a déjà mis presque sens dessus dessous, — a ce soir même porté à Desdémona — des toasts profonds d’un pot, et il est de garde ! — Et puis ces trois gaillards chypriotes, esprits gonflés d’orgueil, — qui maintiennent leur honneur à une méticuleuse distance, — et en qui fermente le tempérament de cette île belliqueuse, — je les ai ce soir même échauffés à pleine coupe, — et ils sont de garde aussi… Enfin, au milieu de ce troupeau d’ivrognes, — je vais engager Cassio dans quelque action — qui mette l’île en émoi… Mais les voici qui viennent. — Si le résultat confirme mon rêve, — ma barque va filer lestement, avec vent et marée !