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OTHELLO.

Encore une fois, quel bonheur de nous retrouver à Chypre !

Othello, Desdémona, Cassio, Émilia et leur suite sortent.
IAGO, à Roderigo.

Viens me rejoindre immédiatement au havre… Approche… Si tu es un vaillant, s’il est vrai, comme on le dit, que les hommes, une fois amoureux, ont dans le caractère une noblesse au-dessus de leur nature, écoute-moi. Le lieutenant est de service cette nuit dans la Cour des gardes… Mais d’abord il faut que je te dise ceci… Desdémona est éperdument amoureuse de lui.

RODERIGO.

De lui ? Bah ! ce n’est pas possible.

IAGO, mettant son index sur sa bouche.

Mets ton doigt comme ceci, et que ton âme s’instruise ! Remarque-moi avec quelle violence elle s’est d’abord éprise du More, simplement pour les fanfaronnades et les mensonges fantastiques qu’il lui disait. Continuera-t-elle de l’aimer pour son bavardage ? Que ton cœur discret n’en croie rien ! Il faut que ses yeux soient assouvis ; et quel plaisir trouvera-t-elle à regarder le diable ? Quand le sang est amorti par l’action de la jouissance, pour l’enflammer de nouveau et pour donner à la satiété un nouvel appétit, il faut une séduction dans les dehors, une sympathie d’années, de manières et de beauté, qui manquent au More. Eh bien, à défaut de ces agréments nécessaires, sa délicate tendresse se trouvera déçue ; le cœur lui lèvera, et elle prendra le More en dégoût, en horreur ; sa nature même la décidera et la forcera à faire un second choix. Maintenant, mon cher, ceci accordé (et ce sont des prémisses très-concluantes et très-raisonnables), qui est placé plus haut que Cassio sur les degrés de cette bonne fortune ? Un drôle si souple, qui a tout juste assez de conscience pour affecter les formes