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INTRODUCTION.

d’une fois pour voir si Jehan ne le rejoindrait pas au dernier moment, il se rendit au champ clos. Raoul l’attendait. La lutte commença. Elle dura longtemps sans qu’aucun des adversaires eût pris l’avantage. Enfin Robert parvint à faire sauter le casque et à briser l’épée de son ennemi ; ainsi désarmé, Raoul prit une grosse pierre et la lança sur Robert, qui l’esquiva. Ce fut son dernier effort. Le vaincu s’agenouilia criant grâce : « Aie pitié de moi, gentil chevalier, je te rends ta terre et la mienne, car je les ai tenues contre droit et raison, et j’ai diffamé ta dame. » Messire Robert était aussi généreux que Posthumus ; il laissa la vie à Raoul, comme le mari d’Imogène à Iachimo. Il fit plus encore ; il plaida devant les juges du camp la cause de son ennemi, et, grâce à son éloquence, messire Raoul, qui aurait pu être pendu haut et court, comme le Lisiart du roman de la Violette, en fut quitte pour le bannissement.

Malgré son triomphe, messire Robert était resté fort mélancolique. Ses biens lui avaient été restitués, c’est vrai ; mais sa femme, mais son écuyer ne lui avaient pas été rendus. Que lui importait de retourner dans son manoir s’il devait y demeurer tout seul ? Le chevalier se livrait tristement à ces réflexions, quand son beau-père le prit par le bras et l’invita à l’accompagner. Robert se laissa conduire, et bientôt, par un escalier dérobé, tous deux arrivèrent devant une porte que le châtelain poussa brusquement. Le chevalier entra et aperçut, comme dans un rêve, une créature d’une merveilleuse beauté, parée d’une robe de soie lamée d’or. C’était Jehanne. « Sitôt que messire Robert connut sa femme, il courut à elle les bras tendus et ils s’entr’accolèrent, pleurant de joie et de pitié. » La soirée était avancée ; tout le monde s’alla coucher, et messire Robert se retira avec sa femme. Le lendemain, dès l’aube, le chevalier se jeta à bas du lit