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APPENDICE.

tonnant que son mari fût si libertin dehors quand il était si tranquille chez lui ; comme les femmes sont naturellement inclinées à croire le pire, elle commença à maugréer contre son bonhomme, et, prenant un bâton, jura de lui en donner une volée s’il lui apportait quelque marmot bâtard. Le bonhomme, voyant sa femme dans sa majesté avec la masse à la main, la supplia de rester tranquille et lui raconta toute l’histoire ; quand enfin il lui montra la bourse pleine d’or, elle se mit à soupirer doucement, et, prenant son mari autour du cou, l’embrassa à sa rude manière, lui disant que Dieu, ayant vu leur misère, entendait la soulager, et ayant vu qu’ils n’avaient pas d’enfant, leur avait envoyé cette petite fille pour être leur héritière. Après qu’ils eurent mis tout en ordre, le berger retourna à ses moutons en chantant gaiement, et la bonne femme se mit à bercer l’enfant après l’avoir enveloppée dans une couverture commune au lieu du riche manteau, et la nourrit avec tant de soin, qu’elle commença à être une jolie fille. En rentrant chez lui tous les soirs, le berger la faisait danser sur ses genoux et la faisait babiller, si bien qu’en peu de temps elle commença à parler et à l’appeler papa, et la bonne femme maman… Fawnia[1] (c’est ainsi qu’ils nommèrent l’enfant), croyant que Porrus[2] était son père et Mopsa sa mère, les honorait et leur obéissait avec un respect qu’admiraient tous les voisins. Porrus devint vite un homme de substance et de crédit ; il acheta des terres qu’il comptait léguer à sa fille après sa mort, si bien que les riches fermiers venaient dans sa maison comme des amoureux. Dès qu’elle atteignit seize ans, Fawnia avait une perfection si exquise de corps et d’esprit, que sa haute naissance se révélait dans sa disposition naturelle ;

  1. Perdita.
  2. Le vieux berger, dans le Conte d’hiver.