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PANDOSTO OU LE TRIOMPHE DU TEMPS.

tivement, comme il jetait les yeux vers la mer, il aperçut un petit bateau d’où il lui sembla que partaient de nouveaux cris. Il s’avança sur le bord, et, marchant dans l’eau jusqu’au bateau, il regarda et vit un petit nourrisson, couché tout seul, presque mort de faim et de froid, enveloppé dans un manteau d’écarlate, richement brodé d’or, et ayant une chaîne autour du cou. Le berger, qui n’avait jamais vu un si beau bébé ni de si riches joyaux, pensa qu’assurément c’était un petit dieu, et se mit avec grande dévotion à se frapper la poitrine. L’enfant, qui faisait la grimace pour chercher le sein, se mit à crier de nouveau ; le pauvre homme reconnut que c’était une enfant de noble famille qui, victime de quelque sinistre projet, avait été chassée là par la tempête… Ému de pitié, il résolut de la porter au roi afin qu’elle reçût une éducation d’accord avec sa naissance, car il n’avait pas lui-même les moyens de l’élever, quelque bonne volonté qu’il en eût. Prenant donc l’enfant dans ses bras, comme il repliait le manteau pour mieux la défendre du froid, il vit tomber à ses pieds une bourse très-belle et très-riche où il trouva une grande somme d’or : cette vue le remplit de joie en même temps qu’elle l’accabla de frayeur ; de joie, parce qu’il avait une telle somme en son pouvoir ; de frayeur, parce qu’il pouvait courir des dangers dans le cas où la chose serait connue. À la fin, l’amour de l’or l’emporta, et il résolut d’élever l’enfant, et avec la somme de soulager sa propre misère. Il renonça donc à chercher sa brebis, et, aussi secrètement qu’il put, il rentra chez lui par un sentier détourné, de peur qu’aucun de ses voisins ne l’aperçut avec son fardeau. Aussitôt qu’il eût franchi le seuil de la porte, l’enfant commença à crier ; sa femme, ayant entendu le cri et voyant son mari avec un nourrisson dans ses bras, commença à être quelque peu jalouse, s’é-