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APPENDICE.

dans son palais où il resta trois jours sans parler… Quand il revint à lui, il saisit une rapière pour se tuer, mais ses pairs l’empêchèrent d’accomplir cet acte sanglant, en lui remontrant que le bien public était attaché à son salut, et que le troupeau ne pouvait que périr sans le berger. Enfin, le roi se laissa fléchir et reprit quelque calme ; mais, aussitôt qu’il put sortir, il fit embaumer sa femme et ordonna qu’elle fût déposée dans un cercueil de plomb avec son jeune fils Garinter ; il érigea un sépulcre riche et splendide où tous deux furent enfermés, et sur lequel cette épitaphe fut par ses ordes gravée en lettres d’or : Ci-gît l’aimable Bellaria, accusée faussement d’être impudique, justifiée par la sentence sacrée d’Apollo, et pourtant tuée par la jalousie. Qui que tu sois, passant, maudis celui qui a fait mourir cette reine. Cette épitaphe une fois gravée, Pandosto résolut d’aller une fois par jour sur la tombe, et là de déplorer son infortune par d’humides lamentations, ne voulant d’autre compagne que la douleur, d’autre harmonie que la repentance.

Mais laissons-le à ses tristes émotions, et reprenons la tragique histoire de la petite fille. L’enfant, secouée par le vent et par la vague, sur le point d’être noyée à chaque rafale, flotta deux grands jours sans secours, jusqu’à ce qu’enfin la tempête ayant cessé, le petit bateau, entraîné par la marée, échouât sur les sables de la côte de Sicile. Il arriva qu’un pauvre berger mercenaire, qui gagnait sa vie à garder les troupeaux des autres, ayant perdu une de ses brebis, errait du côté de la plage pour voir si par hasard il ne la retrouverait pas broutant le lierre de mer dont les moutons aiment à se nourrir ; mais, ne l’ayant pas aperçue là, comme il allait retourner à son troupeau, il entendit un cri d’enfant ; sachant qu’il n’y avait pas de maison là, il pensa qu’il s’était mépris et que c’était le bêlement de sa brebis. Sur quoi, regardant plus atten-