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CINQUANTE-SIXIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

Gironde, en un village à deux milles de Messine, nous vous ferons compagnie, moi et mes parents, et là verrez la fille que je vous ai dit, et dînerons ensemble. » À quoi Timbrée s’étant accordé, il sollicita son compagnon, et le dimanche de bon matin, Lionato le venant trouver avec ses parents, ils allèrent ensemble au village du frère de Lionato. Ils ne furent pas si entrés au logis que voici sortir (comme du cheval troyen) d’une chambre un escadron de damoiselles, entre lesquelles reluisaient en beauté et en bonne grâce Fénicie et Blanchefleur, comme le soleil et la lune, entre toutes les clartés qui sont au ciel. Alors Lionato prenant par la main le comte de Colisan, et s’accostant de Fénicie, qu’on appelait Lucilie, lui dit : « Monsieur, voici la damoiselle que je vous ai choisie pour épouse. » Timbrée, voyant une beauté tant rare et exquise, se plut grandement en elle, et pour ce il répondit : « Mon père, je prends dès à présent cette damoiselle pour mon épouse légitime, pourvu qu’aussi elle y consente de son côté. » — « Quant à moi, dit la fille, je suis prête d’obéir à tout ce qu’il plaira au seigneur Lionato me commander. » — « Je veux donc, dit le bonhomme, que vous preniez à mari et époux le seigneur comte de Colisan, et vous exhorte de l’aimer comme il le mérite, et lui obéir comme la femme doit à son mari, qui comme chef, a sur elle puissance. » Cet accord fait, fut appelé le prêtre qui les fiança. Timbrée ainsi épousa sa Fénicie pensant prendre une Lucilie, et sentait ne sais quoi en son cœur qui le tirait à aimer uniquement cette fille, pour le rapport de sa face (comme il lui semblait) à celle de sa défunte maîtresse, tellement qu’il ne pouvait se soûler de la regarder. Qui fut cause qu’eux étant à table et sur la fin du dîner, une tante de Fénicie, voyant le comte si attentif à contempler son épouse, lui va dire joyeusement : « Monsieur, je vous prie me dire si jamais