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CINQUANTE-SIXIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

vie de celle qu’on tenait pour morte, laquelle commença à ouvrir les yeux. La mère et la tante, voyant un si bon commencement, échauffent des draps, la frottent si bien, que la fille revient du tout en soi, laquelle, soupirant fort hautement, dit : « Hé Dieu, et où est-ce que je suis ? » La mère soudain appela son mari, lequel sentit si grande liesse de cette occurence qu’il ne le put dissimuler, mais baisant sa fille, lui dit qu’elle se confortât sur lui. Et fut mis en délibération et accordé qu’on continuerait la nouvelle et bruit de sa mort, et cependant Fénicie s’en irait aux champs, pour être nourrie avec ses oncles et tantes : ce qui fut fait dès le soir même, après qu’ils l’eurent restaurée avec confitures et autres choses délicates ; et ce afin qu’elle devenue plus grande, on la pût pourvoir honnêtement sous un autre nom, étant reçu partout que Fénicie était trépassée.

Le cercueil est dressé où la mère mit ce que bon lui sembla, en lieu du corps de la fille, fermant le coffre, et l’étoupant de poix de toutes parts, si bien que chacun estimait que là fût enclos le corps de la misérable. L’appareil des funérailles étant fait, le corps est porté en terre, avec les pleurs et plaintes de tous les Messinois. Et n’y en avait aucun qui ne détestât le seigneur de Cardoue, ayant cette opinion qu’il avait mis cette calomnie sur la fille trépassée, à tort, et pour n’être contraint de la prendre pour femme. Timbrée avait un deuil insupportable en son esprit, et sentait ne sais quel élancement de cœur qui lui proposait à toute heure le tort qui avait été fait à Fénicie.

Mais comme le comte de Colisan se tourmentait, voici Gironde qui (se voyant être le vrai bourreau et de l’honneur et de la vie de Fénicie) se repent de son forfait et délibère, à peine de mourir, de découvrir à Timbrée la trahison qu’il lui avait dressée pour le priver de son