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LE ROMAN DE TROYLUS.

votre serviteur. Car je suis celui que votre grande beauté, douceur et genteté ont contraint à vous requérir, et je ferai tant, au plaisir de Dieu, que encore aurez cher Dyomèdes.

Brisaïda l’écoutait et lui répondit peu de paroles de loin en loin ; mais puis qu’elle eût ouï cette dernière requête et la grande hardiesse de Dyomèdes, elle lui dit en cette manière avec une voix moyenne : « Dyomèdes, j’aime cette ville en laquelle je suis crue et nourrie, et moult me déplaît sa guerre ; et cette douleur tant me serre le cœur que c’est l’occasion de mon ennui et mélancolie. Je ne connus que fut d’amour oncques, depuis que mourut celui à qui loyalement la gardai comme à mon seigneur et mari ; ni de Grecs, ni de Troyens ne me souciai oncques, ni en telle façon ne m’entrèrent au cœur, ni n’entreront jamais. Et que vous soyez descendu de sang royal, je le vois assez, et ceci me donne une grande admiration que vous puissiez mettre en votre courage une pauvre femme comme je suis. À vous appartiendrait la belle Hélaine, à moi ne revient que tribulation. Non pourtant ne dis que serais dolentée d’être aimée d’un homme comme vous. Le temps est mauvais et périlleux, et à présent êtes en armes ; laissez victoire à qui l’attend, et alors saurai-je mieux que j’aurai à faire, et par aventure me plairont plus les joyeusetés et plaisirs, et mieux qu’ils ne font maintenant, et peut-être que je prendrai vos paroles mieux en gré ; car si aucun veut entreprendre, il doit aviser temps et saison. »

Cette dernière parole que dit Brisaïda plut fort à Dyomèdes, et lui sembla bien que sans nulle faute encore trouverait merci en elle, si comme il fit tout à son beau plaisir et loisir ; et lui répondit : « Madame, je vous jure sur ma foi que d’ici en avant je suis tout vôtre, ni à autre tant que je vivrai ne serai, et toujours me trouverez prêt